Entretien croisé avec Adrien Montagut (Commown) et Anaïs Dubois (TeleCoop) – Juin 2023

<aside> 📎 Impossible de traiter du numérique sans parler des modèles économiques du monde de la tech… eux-mêmes intimement liés aux modèles de gouvernance.

Pour ce deuxième volet, c’est à ces thématiques centrales que nous nous sommes attelés, et notamment aux questions de partage de la richesse et du pouvoir, sur lesquelles le monde de l’ESS a beaucoup à nous apprendre.

Pour cela, on a interrogé Anaïs Dubois, responsable stratégie et partenariats chez TeleCoop, et Adrien Montagut, co-fondateur de Commown – deux coopératives qui opèrent dans le secteur du numérique.

Ce qui nous a marqué chez Adrien et Anaïs, c’est leur attachement à des valeurs puissantes et à des pratiques de gouvernance qui, loin de représenter une contrainte, sont au contraire pour leurs projets respectifs un excellent moyen de remettre du lien avec leurs utilisateurs : une inspiration certaine pour bon nombre de projets tech !

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Commençons par les présentations. Pourriez-vous nous en dire plus sur vos coopératives respectives ?

Adrien Montagut, co-fondateur et responsable communications et affaires publiques chez Commown

Adrien Montagut, co-fondateur et responsable communications et affaires publiques chez Commown

Commown travaille à lutter contre l'obsolescence programmée, en proposant à la location avec services sans option d'achat des appareils électroniques (smartphones, ordinateurs, casques, tablettes) plus réparables et plus vertueux. Les services vont de la prise en charge des pannes jusqu'au renouvellement de la batterie, en passant par les casses, les vols, l'installation de systèmes d'exploitation alternatifs, et cetera.

Anaïs Dubois, responsable stratégies et partenariats chez TeleCoop

Anaïs Dubois, responsable stratégies et partenariats chez TeleCoop

TeleCoop est un opérateur mobile : on propose des forfaits mobiles à destination des particuliers et des professionnels. Pourquoi ? Parce qu'on considère que l'opérateur mobile est une vraie porte d'entrée vers un numérique plus responsable. On accompagne nos abonnés à la reprise en main de leur vie numérique, en les sensibilisant sur la consommation de données mobiles, mais aussi sur l'allongement de la durée de vie de leurs équipements et sur l'impact sociétal, sanitaire et environnemental du numérique.

Vos entreprises respectives sont toutes les deux des coopératives. Comment fonctionne une coopérative ? Quelles sont les valeurs qui vous tenaient à cœur dans le choix de ce modèle ?

Anaïs : Nous, on est une société coopérative d'intérêt collectif, c'est-à-dire que toutes nos parties prenantes peuvent devenir sociétaires, que ce soit nos abonnés, nos partenaires, nos fournisseurs. Les salariés peuvent devenir sociétaires quel que soit le montant qui y est investi. Le principe, c'est qu’une personne égale une voix, ce qui permet d'avoir une vraie gouvernance partagée. Dans le cas de TeleCoop, par exemple, on est presque 1200 sociétaires actuellement, donc ça permet de prendre les décisions stratégiques en commun.

Dans le cas de TeleCoop, par exemple, on est presque 1 200 sociétaires actuellement, donc ça permet de prendre les décisions stratégiques en commun.

Adrien : ****C’est un modèle qui s’inscrit en défaut du modèle capitaliste dans lequel on est engagé actuellement, qui tend à voir la rémunération du capital comme seule finalité des entreprises, sans aucune prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, dans une forme de déni de démocratie où les personnes, qu’elles soient salariées ou consommatrices d’une structure, n’auront aucune prise sur les décisions stratégiques de la vie de l’entreprise.

Pour lancer notre structure, on ne voyait pas d'autre forme que celle de la société coopérative d'intérêt collectif. Elle permet vraiment, comme l’expliquait Anaïs, de rassembler les différentes parties prenantes autour d'une vision commune dans un même objectif, et de garantir que l'intérêt collectif prime devant le profit. La structure a une vocation à être rentable et dégager de la marge pour pouvoir ensuite se développer, mais ce n’est absolument pas la clef de voûte.

C’est un modèle qui s’inscrit en défaut du modèle capitaliste, qui tend à voir la rémunération du capital comme seule finalité des entreprises.

Anaïs : Et il y a quand même des garde-fous à la lucrativité. Nos structures sont à lucrativité limitée, c'est à dire que si on fait des profits records, on ne peut pas rémunérer nos sociétaires avec des montants records, on doit les réinvestir dans l'entreprise. On a aussi des garde-fous dans nos statuts sur les différences de salaires. Chez TeleCoop, les différences de salaire sont statutaires avec un écart de 1 à 5.

Adrien : ****Ce qui est aussi important, c’est que c’est une façon d’entreprendre qui est très structurante et qui n’est vraiment pas dépendante des personnes qui portent l’entreprise. Aujourd’hui, nous sommes 4 cofondateurs. S’il nous arrive un accident regrettable ou si, pour x raison, on en vient à vouloir aller faire d’autres trucs, on peut partir tranquille, on sait que la structure ne peut pas être dévoyée de sa mission et de son statut d’origine. On peut faire en sorte de rendre très complexe la sortie des statuts coopératifs. C’est vraiment différenciant par rapport à un tas d’autres formes d’entreprises qui peuvent soit se faire racheter, soit qui vont dépendre de la vision d'avant-gardistes, du dirigeant.

L’une des valeurs des coopératives est la plus juste répartition des richesses et du pouvoir, via notamment le principe “une personne égale une voix”. Quels bénéfices voyez-vous à ce fonctionnement ?

Adrien : ****Le bénéfice direct d’une personne égale une voix, c’est qu’on ne peut pas se faire acheter. Si Amazon arrive et veut nous racheter en mettant 200 millions sur la table, ils ont autant de pouvoir décisionnel que ma tante qui a mis 20 euros.

Anaïs : “Une personne égale une voix”, on pense que c'est un principe facile. Mais en fait, dans toutes les autres structures, on dépend de combien on a mis de parts sociales ou d'actions ; on est tout de suite lié à notre pouvoir d'investissement. Là, non, on est reconnu comme une personne et un citoyen et c'est hyper fort.